Saint-Jean accueille cinq fois plus de nouveaux résidents francophones

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Marine Ernoult

Journaliste

L’immigration francophone se porte bien à Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick. Sur le terrain, les acteurs y voient les résultats des politiques municipales, provinciales et fédérales. Ils insistent néanmoins sur les difficultés pour retenir les nouveaux arrivants, confrontés à un manque d’emplois et de services en français.

En 2023, 200 immigrants maitrisant le français ont obtenu leur résidence permanente dans la région métropolitaine de Saint-Jean. Ce chiffre, et d’autres, sont inclus dans le rapport Succeed and Stay : Immigration Patterns Report for Greater Saint John, commandé par la municipalité et rendu public en mai dernier.

Ces nouveaux arrivants représentaient 11 % du total de la population immigrante francophone au Nouveau-Brunswick en 2023, contre 5 % en 2019. Cette année-là, il n’y a eu que 55 nouveaux résidents permanents qui parlaient français et, en 2018, seulement 40. St-Jean veut accueillir 20 % des immigrants francophones au Nouveau-Brunswick d’ici 2030.

Michel Côté constate sur le terrain l’augmentation de l’immigration francophone à Saint-Jean. Mais il prévient : «Si on n’est pas capable de mieux s’équiper pour retenir les nouveaux arrivants, la hausse actuelle ne sera qu’un coup d’épée dans l’eau.» Photo : Courtoisie.

Ces statistiques ne surprennent pas le directeur général de l’Association régionale de la communauté francophone de Saint-Jean (ARCf), Michel Côté : «On le voit concrètement sur le terrain, dans les centres de la petite enfance et les écoles, avec de plus en plus d’enfants, d’éducatrices et d’enseignants issus de l’immigration.»

Plus du tiers des élèves du centre scolaire francophone Samuel-de-Champlain sont issus de l’immigration. Dans les deux centres de la petite enfance de la région, la moitié du personnel a été recrutée à l’étranger.

Michel Côté considère que «les stratégies fédérales et provinciales ont aidé à accroitre le nombre d’immigrants francophones». Le responsable évoque notamment le programme fédéral de Mobilité Francophone, qui sert souvent de passerelle vers la résidence permanente.

Dans une réponse par courriel, la ville de Saint-Jean cite de son côté le Programme des candidats des provinces ou encore le Programme d’immigration au Canada atlantique.

À lire aussi : Immigration : nouvelle stratégie pour Saint-Jean (Le Saint-Jeannois)

Recruter à l’international, une «grosse bébête qui fait peur» 

Aux yeux de Réda Allouch, la pénurie de logements et d’opportunités économiques en français est à l’origine du départ de nombreux nouveaux arrivants. Photo : Courtoisie.

Selon Réda Allouch, gestionnaire des bureaux satellites du Centre d’accueil et d’accompagnement francophone pour immigrants (CAFi) du Nouveau-Brunswick, «les investissements» de la municipalité pour s’ouvrir à la francophonie ainsi que le «dynamique tissu économique» de la région ont également joué un rôle.

Il parle de la même manière du bouche-à-oreille entre les immigrants, «qui partagent souvent leur succès d’installation avec leurs proches restés dans leur pays d’origine».

Réda Allouch estime néanmoins que les efforts déployés pour attirer les nouveaux arrivants restent insuffisants : «Il faut faire beaucoup plus de promotion de la région au sein de la francophonie internationale, la rendre plus visible.»

«C’est crucial si l’on veut rattraper notre retard en matière d’immigration et assurer le dynamisme économique et démographique de la communauté francophone de Saint-Jean», insiste Nicole Arseneau-Sluyter, présidente de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB) et résidente de Saint-Jean.

De leur côté, les organismes francophones accentuent leurs efforts pour recruter des salariés à l’international, que ce soit en France, en Belgique ou dans des pays du Maghreb.

«Ça nous donne un accès plus rapide à des ressources humaines, mais ça vient avec son lot de défis. Ces embauches demandent beaucoup d’énergie, de paperasses et de suivi», affirme Michel Côté.

Le président du Conseil d’éducation du District francophone Sud parle d’une «grosse bébête qui fait peur». «Certains organismes ne veulent pas s’embarquer là-dedans, car il manque de personnel en interne pour s’en occuper.»

À Saint-Jean, l’ARCf dispose d’ailleurs d’un employé à temps plein pour gérer ces épineux dossiers.

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Une «fausse perception que le français suffit»

Attirer les nouveaux arrivants est loin d’être évident, mais les encourager à rester constitue un défi encore plus grand. D’après le rapport, environ 55 % de ceux qui étaient arrivés à Saint-Jean en 2019 – toutes langues confondues – étaient encore là trois ans plus tard.

«Au niveau des francophones, nous en retenons à peu près la moitié», précise Michel Côté.

Aux yeux de Réda Allouch, la pénurie de logements et d’opportunités économiques en français explique en grande partie les départs.

«Il y a de plus en plus de nouveaux arrivants qui ne parlent pas anglais. Ils arrivent avec la fausse perception que le français suffit et ça limite leur possibilité d’emploi», expose de son côté Michel Côté.

Selon lui, les postes au sein de l’ARCf constituent «une bouée de sauvetage» pour ces unilingues.

«Mais on ne peut pas embaucher tout le monde. Si un conjoint se retrouve sans travail à la maison, la réalité fait que la famille devra partir à Moncton ou au Québec pour avoir deux salaires», poursuit le responsable, qui pointe par ailleurs le manque de services en français, en particulier dans le domaine de la santé.

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Initiatives municipales

Pour améliorer la rétention des immigrants, Saint-Jean va lancer un nouveau site internet bilingue d’aide à l’établissement.

Le Partenariat local pour l’immigration de Saint-Jean va, lui, créer un groupe consultatif francophone pour répondre aux besoins urgents de la communauté.

«Nous voulons que tous les nouveaux arrivants aient un sentiment d’appartenance à la ville, quelle que soit la langue officielle de leur choix, assure la gestionnaire de la croissance de la municipalité, Tahlia Ferlatte. Pour qu’ils restent, il faut les aider à s’orienter dans leur langue à travers les nombreux services existants, améliorer leur accès aux informations sur le logement, les emplois, etc.»

Moncton préférée à Saint-Jean 

Selon Nicole Arseneau-Sluyter, le manque de place dans les écoles et les centres de la petite enfance de la région de Saint-Jean limite les possibilités d’accueillir plus d’immigrants francophones. Photo : Courtoisie.

En dépit des barrières, les organismes francophones multiplient les activités multiculturelles pour forger un sentiment d’appartenance à la communauté.

«C’est difficile d’aller chercher tout le monde, on essaie d’accueillir les nouveaux arrivants le mieux possible pour qu’ils se sentent chez eux chez nous», souligne Nicole Arseneau-Sluyter.

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Les organismes saint-jeannois ont également mis sur pied un guichet unique pour les immigrants. Tous les services dont ils pourraient avoir besoin à leur arrivée sont regroupés au même endroit.

À long terme, l’objectif est ambitieux : atteindre 20 % d’immigration francophone en 2030. Mais «si on n’est pas capable de mieux s’équiper pour retenir les nouveaux arrivants, la hausse actuelle ne sera qu’un coup d’épée dans l’eau», prévient Michel Côté.

La capacité des services limite aussi la croissance, notamment dans le secteur de la petite enfance. Le centre scolaire Samuel-de-Champlain est présentement à 110 % de sa capacité.

«C’est triste, on pourrait accueillir beaucoup plus de monde si on avait plus de place», regrette Nicole Arseneau-Sluyter.

Quels que soient les chiffres, l’immigration francophone à Saint-Jean reste en deçà de celle des autres villes néobrunswickoises. Réda Allouch explique que les francophones préfèrent s’installer dans la région du grand Moncton, où ils ont plus de chance de trouver un emploi dans leur langue maternelle.

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