L’indice pâté chinois, la suite

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Camille Langlade

Journaliste
Francopresse
redaction@francopresse.ca

«Steak, blé d’Inde, patates», on remet le couvert. En janvier dernier, Francopresse a calculé le cout moyen d’un pâté chinois dans chaque province et territoire du Canada. Cinq mois plus tard, la cueillette de données permet de constater que la facture a légèrement augmenté.

Le retour en épicerie s’est fait entre le jeudi 11 mai et le mercredi 17 mai 2023, dans 36 commerces des 10 provinces et 3 territoires.

Des journalistes de partout au pays ont recueilli les prix pour la viande hachée, le maïs en crème, les pommes de terre, les ognons* et le ketchup.

Liste des ingrédients

  • Viande hachée mi-maigre (500 g)
  • Maïs en crème (boite de 398 ml)
  • Pommes de terre (5 lb)
  • Ognons (2 à 3 lb)
  • Ketchup (750 ml ou 1 l)

L’objectif était de comparer le cout moyen de fabrication maison d’un pâté chinois au Canada entre janvier et mai 2023.

Consultez notre dossier «L’indice pâté chinois»

Pourquoi le pâté chinois?

Le pâté chinois a été choisi comme plat de référence parce qu’il est bien connu de toutes les générations de la population canadienne et qu’il a un caractère démocratique.

Les recettes de pâté chinois étant aussi nombreuses que les familles qui le cuisinent, les données ont été recueillies sur la base de la recette qui se trouve dans La Nouvelle Encyclopédie de la cuisine, édition 1978, de Jehane Benoît, à laquelle un condiment a été ajouté : le ketchup.

Résultat : le prix moyen au pays a augmenté de 0,75 % entre janvier et mai 2023.

En janvier, le prix moyen d’un pâté chinois au pays était de 22,53 $. En mai, la moyenne s’établit à 22,70 $, soit une augmentation de 0,17 $. Pas grand-chose direz-vous, en plein contexte inflationniste. Et pourtant.

Selon l’Indice des prix à la consommation (IPC) de Statistique Canada, la croissance des prix dans les épiceries a ralenti en avril 2023 comparativement au mois précédent, ce qui serait attribuable notamment «à la hausse moins marquée des prix des légumes frais, ainsi que du café et thé».

«Les prix n’augmentent pas beaucoup d’un mois à l’autre, mais une petite augmentation mensuelle cumulée peut faire une grosse augmentation à la fin de l’année, nuance David Dagenais, journaliste et chroniqueur économique. La croissance des prix ralentit, mais elle est encore très forte.»

«Même si [la croissance des prix des aliments] ralentit de mars à avril [passant de 9,7 % à 9,1 % selon l’IPC], on s’entend que c’est une hausse moyenne très très forte, anormalement élevée sur une base de 12 mois. On est quand même largement au-dessus de l’IPC moyen qui était de 4,4 % en avril [par rapport à avril 2022]. C’est plus du double.»

Le journaliste économique en conclut que, «malgré une tendance au ralentissement de la croissance des prix, un des éléments qui entraine une augmentation encore rapide et élevée de l’inflation, c’est le cout des aliments». Il ajoute même que «les fruits et légumes frais sont les plus susceptibles d’avoir [subi une] inflation forte».

Seuls les prix moyens du maïs en crème et des pommes de terre ont augmenté entre janvier et mai, avec des hausses respectives de 15,11 % et de 2,30 %.

Chute au classement

Le portrait global de mai montre une augmentation des prix dans six provinces et territoires, comparativement aux données de janvier dernier.

En mai, c’est le Nouveau-Brunswick qui s’en sort le mieux, suivi par le Québec. Le Manitoba est passé du 10e au 3e rang, tandis que Terre-Neuve-et-Labrador glisse au 11e rang.

À noter qu’il n’est plus possible de faire un pâté chinois avec ketchup à moins de 20 $ au Canada en mai 2023. Le Québec y arrivait encore en janvier.

En janvier, cinq provinces affichaient encore un panier d’épicerie à moins de 21 $. En mai, seules deux provinces y parviennent.

C’est à Terre-Neuve-et-Labrador que la hausse du cout est la plus marquée avec un accroissement de 15,40 % (3,12 $). En cause : une augmentation de 22,64 % du prix de la viande (+1,37 $) et de 18,21 % des pommes de terre (+1 $).

Néanmoins, six provinces et un territoire ont enregistré des baisses de prix. C’est au Manitoba que se situe la baisse la plus importante avec 4,4 %.

Quant au Nunavut, il demeure en queue de classement avec un cout moyen à 36,80 $ malgré une diminution du prix moyen de 3,1 %.

Question de saisonnalités

Les baisses de prix total les plus marquées ont été enregistrées en Saskatchewan et au Manitoba. Cela s’explique par la diminution du prix de la viande hachée dans ces deux provinces. Ce constat n’étonne pas Maurice Doyon, professeur titulaire à la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation à l’Université Laval, à Québec.

«Les détaillants, ils ont des promotions. Il y a une certaine saisonnalité dans leurs prix et il peut aussi y avoir une certaine saisonnalité dans le prix du bien comme tel», analyse-t-il.

Et les saisons ne concernent pas que les pratiques agricoles. «Quand arrive l’été, c’est la saison des barbecues, remarque-t-il. Juste avant le Super Bowl, les ailes de poulet sont beaucoup moins chères. S’il y a du ketchup, on va s’arranger pour le baisser ou pour ne pas l’augmenter lorsqu’on arrive dans une période de barbecue», illustre le professeur.

Vendre à tout prix

«Dans le fond, un épicier veut que ses produits tournent, poursuit le spécialiste. Quand je vois qu’il y en a un qui sort moins qu’un autre, je vais baisser le prix.»

Cela dit, les détaillants ne peuvent pas non plus faire tout ce qu’ils veulent. «Ils peuvent avoir une marge de manœuvre à l’intérieur d’une enveloppe. […] Mais d’un point de vue global, cette marge n’est pas très élevée, tempère Maurice Doyon. La réalité, c’est que tout coute plus cher.»

L’inflation : une aubaine pour les détaillants?

Cependant, «il est vrai qu’en période d’inflation, habituellement, les détaillants font bien parce que c’est un moment où ils peuvent en profiter pour augmenter les prix», souligne Maurice Doyon. À condition que leurs concurrents le fassent aussi.

«Si j’augmente de quelques points de pourcentage ma marge brute, ça ne va pas nécessairement paraitre, puis je vais augmenter mes profits», rapporte le professeur.

Mais comment l’acheteur peut-il s’y retrouver? «C’est toujours le problème avec l’inflation. Une forte inflation entraine plus d’inflation parce que les consommateurs ne sont plus capables d’évaluer le juste prix et de comparer adéquatement d’un endroit à l’autre l’augmentation des prix», observe David Dagenais.

À quoi s’attendre pour les prochains mois?

«L’inflation, c’est pas demain matin qu’elle va disparaitre, tranche Maurice Doyon. […] Ce que l’on souhaite, c’est que les prix que l’on observe cessent d’augmenter à cette vitesse-là.»

Pour David Dagenais, «rien n’a changé dans les dynamiques générales pour qu’on s’attende à une baisse drastique des prix ou à une stabilisation des prix».

Néanmoins, la baisse du cout de l’énergie par rapport à l’année dernière pourrait peut-être améliorer la situation, sans toutefois changer la donne.

«Apprendre à vivre avec»

«La première fois que le litre d’essence est passé à 1,30 $ autour de 2008 […] les gens capotaient. Là, quand il est à 1,60 $ et on dit wow j’ai réussi à l’avoir à 1,55 $, 1,53 $. On trouve que c’est pas cher. Alors qu’il y a quelques années, un prix comme ça était inimaginable», constate Maurice Doyon.

«On est en train de changer notre référentiel et on va apprendre à vivre avec», suppose-t-il. On peut toujours se consoler avec un pâté chinois, avec ou sans ketchup.

*Ognon : Épellation conforme à l’orthographe rectifiée que Francopresse applique.

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