Mettons d’abord les choses au clair. L’orthographe rectifiée ne suscite guère d’enthousiasme auprès de l’auteur des présentes lignes. Il a, par exemple, de la difficulté à avaler leadeur au lieu du bon vieux leader. Mais puisque Francopresse a adopté cette bibitte depuis quelques années, ce dit auteur se mêle de ses ognons. C’est donc en toute rectification que vous lisez ce texte. On ne fait toujours ce qu’on veut dans la vie. C’est… la vie.
L’orthographe rectifiée — ou la nouvelle orthographe — a 33 ans. Ce chiffre peut avoir plusieurs sens.
C’est «l’âge du Christ», disait-on souvent «dans le temps». Les opposants à l’orthographe rectifiée pourraient donc dire qu’il s’agit du moment idéal pour «crucifier» cette réforme.
Mais les partisans des «nénufars» de ce monde peuvent s’inspirer du fait que «33» est un chiffre sacré, selon les adeptes de la numérologie inspirés de Pythagore, ce mathématicien que l’on connait surtout pour son célèbre théorème. Un sacré numéro que ce Pythagore.
Pour terminer sur la symbolique du chiffre 33, disons que dans l’islam, tous les gens qui vont au paradis ont 33 ans à leur arrivée. Qu’importe, tout le monde veut aller au ciel, oui mais personne ne veut mourir.
Malgré cette tentative de diversion, nous devons revenir au sujet du jour.
Les prémices de l’orthographe rectifiée
En 1989, le premier ministre français Michel Rocard crée le Conseil supérieur de la langue française et lui confie, entre autres, comme mission de proposer des rectifications à l’orthographe de la langue française.
Pour accomplir cette tâche, ô combien ingrate, le Conseil forme ensuite un comité d’experts présidé par le respectable Maurice Druon.
Pour ceux qui ne connaitraient pas Druon, résumons : tour à tour, militaire, résistant pendant la Seconde Guerre mondiale, écrivain (Goncourt 1948), dramaturge, gaulliste et ministre sous Pompidou, député… Un homme aux 33 métiers quoi!
Ah oui, et entretemps, il avait été élu à l’Académie française, puis en était devenu secrétaire perpétuel. Immortel et perpétuel… tout un contrat. Il est, malgré tout, mort en 2009. Pour dire… un titre, ça demeure juste un titre.
C’est donc en tant que secrétaire perpétuel de l’Académie et pour l’ensemble de son œuvre que l’immortel et perpétuel Maurice Druon pilote la grande réforme de l’orthographe.
En décembre 1990, le résultat des travaux du comité est présenté par cet auteur des Rois maudits. Des Rois maudits à l’orthographe maudite, il n’y a qu’un pas qu’il est possible de franchir sans même y penser. C’est fait.
La guerre des mots
Avant de poursuivre, impossible de ne pas jeter un petit coup d’œil dans le passé. Le présent récit ne s’appelle pas Dans le rétroviseur pour rien.
Depuis des siècles, les Français se disputent entre eux sur la façon d’écrire les mots. L’arrivée de l’imprimerie soulève le besoin d’une orthographe commune. Oui, mais laquelle?
Certains défendent l’orthographe dite étymologique, qui tend à conserver des lettres qu’on ne prononce pas, afin de maintenir une trace de leur origine latine ou grecque. Par exemple, le mot «savoir» était écrit à l’époque «sçavoir», car il dérivait du latin scire. Fallait le savoir. Passons.
D’autres, comme Louis Meigret, auteur de la première grammaire française, Tretté de la grammere francoeze, milite plutôt pour une orthographe phonétique ; il était en fait le premier à dire qu’il faudrait «écrire comme on parle». Ce sera partie remise.
On retrouvait également une multitude de lettres doublées ou de lettres muettes sans que ce soit nécessaire. Des rumeurs circulent voulant que les scribes, alors parmi les rares ayant le privilège de l’écriture, en soient les grands responsables. C’est que, ces suspects numéro un étaient payés selon la longueur de leur texte. Mais ce ne sont que des rumeurs…
Et que dire du son /ε̃/ comme dans hein? En français, on l’écrit de 23 façons.
L’Académie à la rescousse
Pour mettre de l’ordre dans ce capharnaüm de la langue écrite, le cardinal de Richelieu fonde en 1634 (ou 1635) l’Académie française, qui a pour principale mission de «donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences».
Pour y arriver, l’Académie compilera notamment — et surtout — un Dictionnaire, dont la première édition sera présentée… 60 ans plus tard. Ces choses-là prennent du temps, que voulez-vous.
L’Académie était alors très attachée à l’orthographe «ancienne», parce qu’on pouvait y déceler l’origine des mots. Pour François Eudes de Mézeray, l’académicien qui va plancher sur les règles à définir, il valait mieux privilégier «l’ancienne orthographe, qui distingue les gens de Lettres d’avec les Ignorants et les simples femmes». Disons qu’il ne serait pas très populaire de nos jours.
L’orthographe sera réformée régulièrement au fil des éditions du Dictionnaire. En 1740, plus de 6 000 mots sur les 17 500 environ que comptait l’ouvrage sont modifiés.
Par exemple, on remplace des «s» par des accents circonflexes sur la voyelle précédente (apostre-apôtre), on élimine des consonnes muettes (advocat-avocat), on remplace des «y» par des «i» (cecy-ceci), etc.
Voltaire, alors membre de l’Académie, avait convaincu ses pairs de remplacer le «oi» par le «ai» dans les mots comme françois, anglois ou j’estoi. Bonne idée.
La réforme de 1990 n’est donc que la dernière mouture d’une longue suite de modifications à la langue française.
Qu’a changé la dernière rectification?
Bof, finalement, surtout de petites choses, quoique parfois ce sont les plus petites qui dérangent le plus. Comme leadeur qui a remplacé leader. Ah oui, on l’a déjà dit. Et ognon qui a succédé à oignon. Mentionné aussi.
Allo a perdu son accent circonflexe. Chapeau! Bigbang n’a plus son trait d’union (qui n’en a pas un d’ailleurs), tout comme millepatte (qui a aussi perdu son «s» au singulier).
Entre 1 400 et 5 000 modifications ont été «proposées». Les modifications sont proposées parce qu’elles ne sont pas obligatoires ; l’orthographe traditionnelle et la nouvelle sont admises. Ouf!
L’orthographe rectifiée, disions-nous, a 33 ans. Un âge charnière. «L’année du bonheur», à en croire un sondage où la majorité des répondants (70 %) ont indiqué avoir véritablement atteint cet état de plénitude à l’âge de 33 ans.
L’avenir semble prometteur pour l’orthographe. Bonne raison pour se réconcilier avec elle…
À lire aussi: Le pâté chinois, un plat démocratique pourtant pas égalitaire
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