Conduire à gauche n’est pas anglais

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Marc Poirier

Chroniqueur

Que seraient les films de James Bond sans les luxueuses voitures, particulièrement la mythique Aston Martin DB65 qui, évidemment, a un volant à droite? Le sympathique 007 est britannique quand même! Mais qui a eu cette idée folle de conduire à gauche de la route? Eh non, pas les Anglais.

Décidant d’entrer en contact avec ce dernier au club où il séjourne, Bond le bat à une partie de poker, empochant son Aston Martin DB5, avant de séduire sa femme, Solange, pour obtenir plus d’informations sur le contractant gouvernemental.

Tiré du synopsis de Casino Royale, 2006

Encore une fois, le Rétroviseur doit plonger jusqu’à l’époque des Romains pour éclairer le présent. On connait l’expertise de cette civilisation pour la construction de routes. La Voie Appienne (Vi Appia) en est l’exemple le plus connu.

Il semble que les légions romaines, lorsqu’elles parcouraient l’empire, marchaient à gauche sur les routes. Cela permettait aux soldats, pour la plupart droitiers comme la population en général, de pouvoir sortir leur glaive, au besoin.

Et comme l’Empire romain s’est étendu et étendu et étendu et a duré plusieurs siècles, la tradition s’est comme perpétuée. Une même logique pratique s’est installée au Moyen-Âge, en Europe. Conduire les charriots à gauche, rennes dans la main gauche, libérait la main droite au cas où il fallait sortir une arme, ce qui arrivait quand même assez souvent.

Au cours des siècles après le déclin de l’Empire romain, la tendance lourde sur les chemins d’Europe était de conduire à gauche. En 1669, à Londres, l’équivalent d’un arrêté municipal d’aujourd’hui prévoyait qu’un homme soit placé sur le pont de Londres (LE pont de Londres) pour veiller à ce que la circulation se fasse à gauche. Une centaine d’années plus tard, cette mesure sera légiférée.

Les premières contraventions pour conduite en mauvais sens (en l’occurrence, à droite) sont données à Dublin en Irlande, à la fin du XVIIIe siècle. Les fautifs étaient sommés de payer 10 «shillings».

Si l’ordre semblait régner sur les routes de Grande-Bretagne et d’Irlande, ce n’était pas le cas à Paris. Dans les années 1820, un observateur étranger (Edward Planta) rapportait qu’il n’y avait pas de règles de circulation et que les cochers changeaient de voie à qui mieux mieux. Rien n’a changé.

À droite toute avec le Conestoga

Au XVIIIe siècle, aux États-Unis, un nouveau type de charriot, le Conestoga, sera à l’origine de la conduite à droite au pays. Photo : Wikimedia Commons, domaine public.

Puis arrive le Conestoga. Ce nouveau type de charriot couvert à larges roues fait son apparition au XVIIIe siècle aux États-Unis, nommément en Pennsylvanie. Comme dans toutes les colonies britanniques, on roulait à gauche aux États-Unis. Mais ce charriot va tout changer.

Servant principalement au transport de marchandises, le Conestoga a la particularité de ne pas avoir de siège pour le cocher. Pour diriger les chevaux qui tiraient le charriot, le cocher montait le cheval le plus près, à gauche, afin de manier les rennes ou le fouet de sa main droite (encore là, la tyrannie des droitiers). Tout naturellement, les chevaux tenaient la droite sur les routes.

Et c’est ainsi que les États-Unis sont passés de la gauche à la droite. Plus tard, Henry Ford consolidera la pratique en plaçant le volant de son modèle T à gauche, afin que les voitures circulent à droite.

En Europe, la France donne le pas

Comme on l’a vu, la circulation à gauche sur les routes était largement répandue, que ce soit par les habitudes des Romains ou pour toute autre raison qui demeurera inconnue jusqu’à la fin des temps.

Un «virage» important survient à la fin du XVIIIe siècle, soit à la même époque qu’aux États-Unis, mais il n’a rien à voir avec le charriot-sans-siège-pour-le-cocher.

En fait, ce n’est pas tout à fait clair. Certains affirment qu’en France, les nobles circulaient à gauche et les pauvres, à droite (ce qui n’a pas beaucoup de sens, à moins que les routes fussent en sens unique, mais bon). Les meneurs de la Révolution, Robespierre en tête, voulant éliminer les distinctions de classe, auraient envoyé tout le monde à droite. Pourquoi la droite alors que le reste de l’Europe était à gauche? On ne le dit pas. Pourquoi faire simple quand on peut faire français?

L’autre grande hypothèse avancée a trait au fait que les succès militaires de Napoléon s’expliquaient, entre autres, par sa décision d’attaquer ses ennemis par le flanc droit plutôt que le flanc gauche, comme cela se faisait à l’époque.

En conquérant une bonne partie de l’Europe, Napoléon aurait imposé ce nouveau code de conduite dans plusieurs pays. Plus ou moins convaincant comme hypothèse.

Ô Canada, terre à droite et à gauche

La rue Charlotte à Saint-Jean, Nouveau-Brunswick, vers 1898. La province se convertira à la conduite à droite en 1922. Photo : Frederick Doig, Wikimedia Commons, domaine public.

La situation au Canada est un peu plus complexe, compte tenu des héritages français et anglais au pays. Et l’évolution de la pratique est un peu floue.

Au temps de la Nouvelle-France, il semble que l’on conduisait à gauche, comme en France et en Grande-Bretagne. Puis, à un moment imprécis, tout vire à droite. Pourtant, le changement en France s’est fait après la conquête britannique du Canada.

Comme ce qui allait devenir l’Ontario et le Québec faisaient partie d’une même colonie à l’époque, l’Ontario maintient la droite en devenant colonie distincte. Par la suite, les Prairies ont imité l’Ontario. Mais la Colombie-Britannique et les provinces maritimes ont maintenu le côté gauche.

Dans le but de s’harmoniser avec le reste du Canada et avec les États-Unis, la conduite côté gauche va disparaitre progressivement : en 1922 en Colombie-Britannique et au Nouveau-Brunswick, en 1923 en Nouvelle-Écosse et en 1924 à l’Île-du-Prince-Édouard. Terre-Neuve fera de même en 1947, deux ans avant son entrée dans la Confédération.

Quel est le bilan de tout ça? Eh bien, en 1914, il y avait autant de pays qui avaient une circulation routière gauche que de pays à droite, soit 104 dans chacun des deux cas. Mais 70 ans plus tard, 34 des pays qui conduisaient à gauche étaient passés à la droite.

Il y a donc beaucoup plus d’endroits qu’on ne le pense où il faut garder la gauche sur la route, dont certains pays importants en plus du Royaume-Uni et de l’Irlande : l’Inde, l’Indonésie, l’Afrique du Sud, le Japon, l’Australie et, en Europe, Malte et Chypre. Dans les Amériques, le Guyana et plusieurs nations ou territoires insulaires s’ajoutent à cette liste.

Finalement, c’est donc environ le tiers de la population mondiale. Et rien n’indique qu’ils se mettront dans le droit chemin.

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